Coup dur pour la méthanisation dans le Lot : une demande nationale d’arrêt des épandages

(source : La vie Quercynoise/J.C Bonnemère – 22 mars 2023)

Le président du Comité national de l’eau demande l’arrêt des épandages « sur toutes les parcelles situées en zones karstiques très vulnérables ».

Jean Launay, le 5 janvier 2023, avec la Secrétaire d’État lors de sa présentation des conclusions du Comité national de l’eau. (©DR )

En demandant à la préfète du Lot l’arrêt des épandages de digestat sur les « zones karstiques très vulnérables », Jean Launay donne la mesure de la gravité de la situation au regard de la nécessité primordiale d’assurer la protection de la ressource en eau.

Jean Launay, ancien député du Lot, membre honoraire du Parlement, président du Comité National de l’Eau (CNE) s’est adressé à Mme Mireille Larrède, préfète du Lot, ce 17 mars 2023. Dans une lettre que La Vie Quercynoise a pu se procurer, Jean Launay demande un arrêt de l’épandage de digestat, « sur toutes les parcelles situées en zones karstiques très vulnérables ». Jean Launay fait valoir également un « médiocre état écologique et un mauvais état chimique » de la masse d’eau de la rivière Célé, depuis le confluent du Drauzou jusqu’au confluent du Lot. Cette démarche inédite souligne la gravité de la situation face aux enjeux de l’eau dans notre département, et elle marque un tournant décisif après la sécheresse de l’été 2022 et de la période hivernale qui s’achève avec des niveaux d’eau encore très bas. Voici la lettre de Jean Launay à la préfète du Lot.

Lettre ouverte à la Préfète du Lot

« L’enquête publique concernant le plan d’épandage de Bioquercy à Gramat, est en cours ; et je viens de m’y exprimer en tant qu’habitant de la commune de Carlucet, incluse dans le nouveau périmètre. Mais, par ce courrier, c’est en ma double qualité d’administrateur de l’Agence de l’eau Adour Garonne et Président du Comité National de l’Eau que je m’adresse à vous.

Le digestat issu du méthaniseur de Bioquercy a la particularité d’être riche en azote minéral ; il est immédiatement utilisable par les plantes s’il est apporté au bon moment et à la bonne dose, mais aussi directement lessivable vers les ressources en eaux souterraines si ces conditions ne sont pas réunies. L’épandage de ce digestat peut donc engendrer une pollution nouvelle par rapport aux effluents épandus aujourd’hui s’il n’est pas totalement maîtrisé et s’il a lieu sur des parcelles situées en zones karstiques très vulnérables. C’était déjà le cas lors de l’enquête publique de 2017, et j’en avais fait la remarque par courrier adressé à votre prédécesseur de l’époque. C’est encore le cas aujourd’hui et j’ai demandé, dans la consultation dématérialisée en cours, le retrait de toutes les parcelles situées en zones karstiques très vulnérables.

Par ailleurs, le tableau 16 (SDAGE 2022-2027) précise que l’ensemble de la zone d’étude croise 14 grandes masses d’eau superficielles et en donne à la fois l’état et les objectifs de qualité. La masse d’eau intitulée « Le Célé du confluent du Drauzou au confluent du Lot (code FRFR 663) » est qualifiée d’un médiocre état écologique et d’un mauvais état chimique, avec des objectifs respectifs de bon état en 2027 pour l’état écologique et de bon état 2039 pour l’état chimique.

Je crains donc que le retard constaté sur cette masse d’eau ne soit pas comblé ; je suis même convaincu qu’il sera significativement aggravé parce que 14 des 17 communes seront demain concernées dans ce sous bassin-versant et soumises au nouveau plan d’épandage. Je cite Cambes, Corn et Les Pechs-de-Vers ajoutées dans le plan d’épandage en 2022. Je cite aussi Assier, Caniac-du-Causse, Cœur-de-Causse, Espédaillac, Le Bourg, Livernon, Sonac, Soulomès, Théminettes maintenues dans le plan d’épandage. Je cite enfin Issepts et Le Bastit qui figuraient déjà dans le périmètre potentiel de l’épandage sans toutefois avoir des parcelles inscrites. J’en appelle donc à la cohérence de l’action publique sur ces deux points précis ! Il ne me semble pas envisageable que votre avis final à la clôture de l’enquête publique soit favorable à la fois sur l’ensemble des zones karstiques vulnérables et sur toutes les parcelles des 14 communes déjà citées, rattachées à la masse d’eau FRFR 663.

La raréfaction de la ressource en eau et les épisodes récurrents de sécheresse que connaît notre pays, nous imposent la plus grande vigilance sur la qualité de l’eau restant disponible. À cet égard, le département du Lot doit continuer d’être exigeant sur la qualité de son environnement. »


Le défi majeur de l’eau

« Le sujet de la méthanisation nous renvoie à la gestion qualitative de l’eau et celui de la sécheresse de l’été dernier, suivie de la sécheresse hivernale que nous connaissons, à la gestion quantitative de l’eau. Cette double préoccupation de la gestion de l’eau se conjugue aussi avec la dimension internationale, d’où l’importance de la planification écologique avec le chantier eau, lancé par le Gouvernement. Ces triples défis s’imposent à nous dès aujourd’hui et pour les générations futures ! » Jean Launay

Une agriculture sans pesticides est possible, selon les experts

(source : Reporterre – 21 mars 2023)

Parmi les leviers d’action, la diversification des cultures dans le temps et l’espace, la sélection de variétés adaptées… – Wikimedia Commons/CC BY 2.0/Aqua Mechanical

À quelles conditions l’agriculture européenne pourrait-elle se libérer des pesticides chimiques d’ici 2050 ? C’est l’épineuse question à laquelle l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) a tenté de répondre dans une nouvelle étude prospective, présentée le 21 mars.

Durant plus de deux ans, 144 experts ont exploré les chemins possibles pour mettre fin aux produits phytosanitaires en Europe. Trois scénarios ont été mis au point : grossièrement, le premier fait la part belle aux robots agricoles et autres « technologies numériques » ; le deuxième mise sur les microbiomes du sol et les holobiontes des plantes (c’est-à-dire les micro-organismes qui leur sont associés) ; le troisième sur des paysages « complexes et diversifiés ».

Une agriculture sans pesticides chimiques est possible, avance l’Inrae, à condition d’activer plusieurs leviers d’action. Parmi ceux cités : la diversification des cultures dans le temps et l’espace, la sélection de variétés adaptées, le développement de produits de biocontrôle et de bio-intrants, la mise au point d’outils numériques et de dispositifs d’épidémiosurveillance pour anticiper l’arrivée des agresseurs…

La modification des régimes alimentaires des Européens est également cruciale, selon l’institut de recherche. Dans ses deuxième et troisième scénarios, les Européens consomment moins de calories, notamment animales. Ce régime frugal laisse au continent une plus grande marge de manœuvre « pour équilibrer ses usages et ses ressources tout en devenant exportateur net de calories ». Autrement dit, en consommant moins de viande, l’Europe pourrait nourrir sa population et continuer d’exporter des produits agricoles, sans étendre les superficies cultivées.

Une telle transition doit mobiliser « tous les acteurs » du système alimentaire, selon l’Inrae, du producteur au consommateur en passant par les politiques publiques et réglementaires. Bonne nouvelle : en plus de permettre la transition vers une agriculture sans pesticides chimiques, les trois scénarios pourraient améliorer le bilan des émissions de gaz à effet de serre, la biodiversité et l’état général des écosystèmes.

Les paysans de plus en plus dépossédés de leurs terres

(source : Reporterre/Marie Astier – 28 février 2023)

Deux associations révèlent que l’accaparement des terres agricoles par des sociétés d’investisseurs et des entreprises progresse fortement en France. Et mettent en péril l’emploi paysan et l’agriculture biologique.

La France a perdu plus de 100 000 fermes en dix ans et 80 000 emplois agricoles, d’après le dernier recensement agricole datant de 2020. – © Mathieu Génon/Reporterre

En France, chaque année, de plus en plus de sociétés financiarisées font main basse sur des milliers d’hectares de cultures agricoles. Un accaparement qui progresse et qui inquiète les associations environnementales Terre de liens et Les Amis de la Terre. Car, qui dit agrandissement des terres, dit généralement destruction de l’emploi paysan et ralentissement des pratiques agroécologiques. Celles-ci détaillent le phénomène dans deux rapports publiés ce mardi 28 février, en marge du Salon de l’agriculture.

L’étude de Terre de liens dévoile des chiffres inédits sur l’état de la propriété des terres agricoles françaises, les derniers rapports sur le sujet remontant à 1982 et 1992. Alors qu’à l’époque, l’accaparement des terres était quasiment inexistant, le phénomène de concentration est aujourd’hui en pleine expansion. Pour l’analyser, l’association a agrégé les rares données disponibles. Deux conclusions s’en dégagent. La première est que quatre millions de petits propriétaires privés, dont la majorité ne sont pas des agriculteurs et ne connaissent pas le métier, se partagent 85 % des surfaces agricoles françaises. Le terrain qu’ils possèdent tourne en général autour des cinq hectares seulement.

La situation est donc compliquée pour les paysans, qui ont en moyenne… quatorze propriétaires. C’est autant de baux à renégocier quand un agriculteur souhaite transmettre sa ferme. Les héritages risquent d’encore augmenter le nombre de ces propriétaires, aujourd’hui en majorité retraités. « La distance augmente entre celui qui travaille la terre et celui qui la possède », note Tanguy Martin.

Le 26 février, à quelques mètres du Salon de l’agriculture, Terre de liens a sensibilisé les passants sur l’agriculture industrielle. © Mathieu Génon/Reporterre

Contrôler toujours plus de terres

Un second phénomène vient se superposer à ce paysage en pleine recomposition. Un nouveau type d’acteur a émergé en trente ans : les « sociétés agricoles financiarisées », écrit Terre de liens. Ces sociétés — où toute personne, physique ou morale, peut acquérir des parts même si elle n’a rien à voir avec l’agriculture — contrôlent actuellement 14 % de la surface agricole utile française, par achat, ce qui représente 650 000 hectares, ou location. Actuellement, une ferme sur dix est enregistrée sous ce statut.

« La Roumanie, où des multinationales possèdent des exploitations de 65 000 hectares et où 40 % des exploitations sont détenues par des investisseurs montre vers quoi l’agriculture française se dirige si rien n’est fait », alerte le rapport des Amis de la Terre.

L’association décrit deux types d’« accapareurs », qui par des opérations de montages financiers contournent la réglementation afin de s’approprier toujours plus de terres. Les premiers sont les « agrimanagers ». À l’instar d’un agriculteur de la Vienne qui possède désormais plus de 2 000 hectares cultivés en grandes cultures (blé, orge, etc.). Pourtant, selon la loi, une personne n’est pas autorisée à contrôler autant de terres à la fois. Mais les terres de cet exploitant sont réparties entre douze sociétés concentrées dans la même holding, détaillent Les Amis de la Terre.

Monoculture et pollution

Le deuxième type d’accapareurs sont les entreprises, qui, en monopolisant des cultures favorisent la monoculture et engendrent des pollutions. Terre de liens s’attarde notamment sur l’exemple du groupe Altho — développé dans l’ouvrage Hold-up sur la terre de Lucile Leclair. Spécialisée dans la pomme de terre, cette société française vend un tiers des chips consommées dans l’Hexagone et est propriétaire d’une marque bien connue, Bret’s. L’entreprise se vante de son enracinement breton, et de sa collaboration avec les agriculteurs autour de l’usine. Mais de plus en plus, elle prend le contrôle direct des terres en rachetant les fermes des agriculteurs récemment retraités. Avec pour conséquences d’entretenir une monoculture industrielle de la patate, de polluer l’environnement en utilisant des pesticides, et d’empêcher l’installation de nouveaux paysans, liste Terre de liens.

Le rapport évoque d’autres entreprises : « Autour de Grasse dans les Alpes-Maritimes, Chanel et L’Oréal achètent des parcelles à prix d’or (entre 500 000 et 1 million d’euros, soit le double, voire le quadruple du prix des terres) pour produire leurs plantes à parfum… Auchan, fleuron de la grande distribution, a acquis plus de 800 hectares par le biais de sa foncière Ceetrus France. » Autre modèle encore cité, celui incarné par la société Labeliance Invest, qui propose d’acheter des parts de sociétés agricoles et promet une rentabilité autour de 7 %.

Des concentrations de zones agricoles qui devraient normalement être empêchées par la Safer, sorte de gendarme du foncier en France. Mais il est facile pour une transaction d’échapper à sa vigilance. Car, dans la quasi-totalité des cas, les ventes de parts de sociétés n’ont pas à lui être signalées.

Le groupe Atho, grand groupe de l’agroalimentaire spécialiste de la pomme de terre, participe au phénomène d’accaparement des terres.. © Mathieu Génon/Reporterre

Destruction d’emplois

Ces très grandes exploitations détruisent les écosystèmes et l’emploi, expliquent Les Amis de la Terre. Le recensement agricole de 2020 a ainsi permis de constater que la France avait perdu plus de 100 000 fermes en dix ans, et 80 000 emplois agricoles. « L’agrandissement des exploitations agricoles va le plus souvent de pair avec l’agrandissement des parcelles, l’arasement des haies et le retournement des prairies permanentes au profit de cultures céréalières », décrit le rapport.

Enfin, plus elles s’agrandissent, moins les exploitations ont besoin de main-d’œuvre. « Une grande exploitation de 100 hectares emploie en moyenne 2,4 personnes, tandis qu’une petite exploitation en emploie 4,8 », lit-on dans l’étude. Des ouvriers agricoles souvent au statut précaire (CDD, saisonnier, travailleurs détachés).

Bientôt une agriculture sans paysans ?

Parmi tout cela, une autre question se pose : près de la moitié des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite d’ici 2030. Or, « les deux tiers des terres qui changent de main vont à l’agrandissement », note Tanguy Martin. Le gouvernement peut décider de laisser faire, ou orienter ces terres vers de nouveaux agriculteurs formés à l’agroécologie. « Les pouvoirs publics ont une responsabilité majeure », rappelle Terre de liens.

De son côté, l’État assure avoir réagi. La loi dite « Sempastous », du nom du député qui l’a portée, est entrée en vigueur ce 1er janvier. Elle porte des « mesures d’urgence » censées éviter que les sociétés agricoles financiarisées échappent au contrôle des Safer. Mais il y a encore beaucoup de trous dans la raquette, estiment en chœur les deux associations.

Les Amis de la Terre préconise ainsi une mesure choc : qu’une personne physique ne puisse pas posséder plus de 300 hectares de surface. Terre de liens, quant à elle, déploie une série de suggestions pour améliorer la transparence de la propriété et la régulation des terres agricoles. Les deux organisations souhaiteraient que leurs propositions soient reprises dans la loi d’orientation agricole actuellement en cours d’élaboration. « Mais ce n’est pas prévu, regrette Tanguy Martin. Pourtant, si on ne régule pas, nous arriverons à une agriculture sans agriculteurs. »