PLUS INVISIBLES QUE LES PAYSANS: LES PAYSANNES « Si les agricultrices ont acquis des droits, c’est parce qu’elles se sont battues pour 

(source: Basta/Sophie Chapelle – 6 mars 2024)

Du partage des tâches au montant des aides, les inégalités de genre entachent le quotidien des agricultrices. Pour que les choses changent, les groupes en non-mixité jouent un rôle central. Entretien avec la chercheuse Clémentine Comer.

Clémentine Comer : Docteure en sciences politiques à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement-Paris-Dauphine, spécialiste de l’inégalité professionnelle en milieu agricole


Basta! : Vos travaux montrent que les agricultrices sont confrontées à une division très genrée des tâches. Comment se manifestent les inégalités socioprofessionnelles en milieu agricole ?

Clémentine Comer : Les inégalités jalonnent toute la trajectoire professionnelle des femmes en agriculture. Dans l’enseignement agricole, on ne sociabilise pas de la même manière les filles et les garçons à l’apprentissage des techniques clés de gestion des exploitations, mais aussi en matière de bricolage, de réparation, de débrouille : des pratiques qui sont structurantes dans le travail quotidien d’un agriculteur. Le défaut de formation est criant dans la conduite des engins ou matériels agricoles, que ce soit dans le cadre de leur formation ou au cours de leurs stages. De plus, les femmes rencontrent des difficultés à trouver des lieux d’apprentissage.

Par ailleurs, nombre d’entre elles n’héritent pas directement des exploitations agricoles. Elles entrent souvent dans le milieu agricole après une reconversion professionnelle. Quand elles s’installent seules, elles font face à une série de freins à la concrétisation de leurs projets, perçus comme moins crédibles par les institutions et l’encadrement professionnel : banque, organismes d’attribution des terres, conseiller technique, etc.

Une fois installées, elles sont davantage regardées et soumises au test répété de leurs compétences. Il y a également une tendance à les assigner à des domaines d’activité plus caractérisés comme féminins : la comptabilité et le travail administratif, entre autres. Dans les élevages ce sont souvent elles qui nourrissent les jeunes animaux.

« L’accès au congé maternité à égalité avec les femmes salariées a été un combat de longue haleine débuté dans les années 1970 et obtenu dans les années 2010 »

Elles vont être placées sur un ensemble de tâches éclectiques qui, aux yeux d’un professionnel, ont moins de valeur symbolique que de passer une journée sur un tracteur dans un champ. Il y a aussi une parcellisation plus forte du travail des femmes : ce sont elles qui gèrent les trajets des enfants, qui préparent les repas, permettant à ceux qui ne le font pas de passer un maximum de temps dehors, qui vont aller chercher des médicaments chez le vétérinaire… C’est un travail plus morcelé, moins rattaché au domaine du productif et aussi plus individualisé, car il est réalisé dans les espaces domestiques. Il demeure pourtant indispensable au fonctionnement de la ferme.

Le fait d’évoluer dans un milieu alternatif n’immunise pas contre ce risque de division genrée des tâches. Une enquête menée en 2018 par la Fédération nationale d’agriculture biologique révélait que 66 % des agricultrices bio en couple hétérosexuel prennent en charge la totalité ou presque du travail domestique…

Face à ce risque, ce qui va compter c’est le parcours de ces femmes : comment elles viennent à l’agriculture, avec quelle formation, quel projet derrière, quelle intention professionnelle. En raison des discriminations qui existent dans l’accès au foncier et aux outils de production, elles vont plutôt se tourner vers des systèmes assez économes en surfaces foncières et en intrants, et qui s’accommodent d’une faible mécanisation – maraîchage diversifié, plantes aromatiques… Autant de productions qui reposent sur de faibles investissements. Statistiquement, les femmes s’installent davantage en filière bio, souvent dans des activités diversifiées avec de l’accueil à la ferme par exemple. Il y a aussi une recherche de cohérence des systèmes avec l’engagement dans des filières de transformation et de commercialisation courtes.

Les inégalités de genre en agriculture tendent-elles à se réduire ?

Si l’on regarde la dotation jeune agriculteur (DJA) [une aide à la trésorerie versée aux nouvelles exploitations agricoles, ndlr] attribuée aux moins de 40 ans, on constate ces trois dernières années une diminution du nombre de femmes installées, alors qu’il y avait un renouvellement des activités agricoles via l’installation de jeunes dans la dernière décennie. C’est une tendance qui doit nous alerter. Et en même temps, les choses bougent, le travail des femmes est perçu comme plus crédible.

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https://basta.media/Droits-des-femmes-sans-les-groupes-non-mixtes-les-agricultrices-n-auraient-peut-etre-pas-de-statut

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